mardi 14 avril 2009

PENSER LA NATION QUÉBÉCOISE…

Nous sommes en 1999… Le pluralisme selon Jane Jenson

Une initiative de Michel Venne et du journal Le Devoir qui a accepté au printemps 1999 de publier une série d’articles portant sur « la nation québécoise ». Le débat a pu se faire dans l’Internet avec le public. L’ensemble de cette démarche a culminé avec l’organisation d’un colloque le 8 octobre 1999 à l’Université McGill. Tous les textes des collaborateurs et quelques autres en supplément ont été édités dans le collectif publié sous la direction de Michel Venne.

Articles publiés dans Le Devoir (sur 12 semaines)

1. Charles Taylor, Nation culturelle, nation politique
2. Daniel Jacques, Des « conditions gagnantes » aux « conditions signifiantes »
3. Gilles Bourque, Entre nations et société
4. Marc Chevrier, Notre république en Amérique
5. Gregory Baum, Nationalisme et mouvements sociaux contre l’hégémonie du marché
6. Denys Delâge, Le Québec et les autochtones
7. Jane Jenson, La modernité du Québec. De la nation à la citoyenneté.
8. Jocelyn Létourneau, Penser le Québec (dans un contexte canadien)
9. Serge Cantin, Pour sortir de la survivance
10. Gilles Gagné, La société québécoise face à la globalisation
11. Danielle Juteau, Le défi de l’option pluraliste
12. Gérard Bouchard, Construire la nation québécoise
Manifeste pour une coalition nationale

ADDENDA

Michel VENNE, dir., Penser la nation québécoise… Montréal, Éditions Québec Amérique, 2000, 309 p. ISBN : 2-7644-0053-5

Michel Venne. Introduction. Penser une nation ou comment vivre ensemble ?

13. Claude Bariteau, Le Québec comme nation politique, démocratique et souveraine
14. Michel Seymour, Une nation inclusive qui ne nie pas ses origines
15. Jacques Beauchemin, Défense et illustration d’une nation écartelée
16. Guy Rocher, Postface. Des intellectuels à la recherche d’une nation québécoise

O O O

7. Article de Jane JENSON :

« La modernité du Québec. De la nation à la citoyenneté. » (Pages 189-197)

« Les sociétés modernes sont pluralistes. » Cette affirmation est défendue par madame Jane Jenson, professeure titulaire au département de science politique de l’Université de Montréal.
Son article a été publié dans Michel Venne, dir., Penser la nation québécoise…, p. 189-197.

Nous offrons à nos lecteurs la réaction que nous avons fait parvenir au Devoir (version électronique) le 1er septembre 1999.


RÉACTION :

Bruno DESHAIES, le mercredi 1er septembre 1999 :

7.- La pensée niveleuse du « pluralisme »

« J’entends par « faction » plusieurs citoyens, constituant la majorité ou la minorité du tout, qu’unit et anime, à l’encontre du droit des autres citoyens ou des intérêts permanents et globaux de la communauté, un quelconque élan commun de passion ou d’intérêts. » (James MADISON, The Federalist, no X, New York, 23 novembre1787.)

La septième personne à nous écrire sur « Comment vivre ensemble ? », à l’intérieur d’un débat aseptisé sur « La nation québécoise... », reflète la pensée niveleuse des différents auteurs qui se sont succédés jusqu’à maintenant à la tribune du pré-millénaire lancée par Le Devoir.

Pour faire bon ton, bon genre, on nous assène comme principe : « les sociétés modernes sont pluralistes ». Le pluralisme, qu’est-ce que c’est ? D’après Marie-Éva de Villiers, c’est « un régime politique composé de plusieurs partis, plusieurs tendances » (cf. Multidictionnaire de la langue française, 3e éd.). Le petit Robert (1994) définit le pluralisme en ces termes : « Système admettant l’existence d’opinions politiques et religieuses, de comportements culturels et sociaux différents, au sein d’un groupe organisé ». L’encyclopédie InfoPEDIA, sur cédérom, ver. 2.01 (de Softkey) définit le pluralisme comme « un état social dans lequel les membres de groupes ethniques, raciaux, religieux ou sociaux continuent, dans les limites d’une civilisation commune, de participer de leur culture ou de leur intérêt spécifique et de les développer de manière autonome. » Notons que le pluralisme se vit sous la contrainte des : « limites d’une civilisation commune ». Et qui définit cette limite commune ?

Un Québec qui ne serait pas de culture française, c’est quoi ? Par conséquent, qu’elle soit bien aise, madame Jenson, de croire ce qu’elle croit au sujet de la société pluraliste mais elle ne devrait pas confondre trop facilement les plans individuel et collectif. Quand on lit « nous, Québécois », de quoi veut-elle parler exactement ? Des « nous » collectifs de trois peuples ou des « nous » de tous les individus qui auraient plus une tendance à ceci ou à cela en religion, en politique, en matière de comportements sexuels, en matière de culture, etc. ? Tout au long de son texte, cette confusion règne. Est-ce voulu ? Je préfère croire que c’est de l’ordre de l’inconscient !

Vient ensuite tout le baratin sur la citoyenneté, le cadre multinational et la reconnaissance de plusieurs peuples. Un discours très à la mode dans les pays de l’Union européenne, à la différence qu’ici le Québec français est loin d’être un pays indépendant. Nous sommes tous des minorités culturelles, et c’est une force. Pourquoi pas ? Et vlan ! une autre vérité nous est assénée : « tout peuple se définit autrement que par la somme des individus qui le composent ».
Il fallait arriver au troisième argument qui place les communautés à égalité avec les individus de telle sorte qu’on ose insinuer que « la reconnaissance du besoin de protection ne peut pas n’être valable que pour la majorité francophone ». Qui dit mieux ? Finalement, l’objectif clair et net consiste à asséner une autre vérité dans la gorge des Québécois français, à savoir que « les communautés minoritaires ont aussi besoin de protection » ! Comme le Québec n’est constitué que de minorités, et que ceci est « une force » (argument no 1), il faut accepter la société des « communautés » égales. C.Q.F.D. Très forte en logique madame Jenson !

Cet habile plaidoyer doit être complété par le poids de l’histoire. Dans un style très pontifical, on nous assène une autre vérité : « Dans une société pluraliste, il s’agit d’imaginer une histoire partagée qui accorde à chacun sa place et qui souligne l’apport de tous au bien-être de la société ». Qui peut vraiment être contre la vertu ! Les rapports de force dans les sociétés et entre les sociétés, dans les États et entre les États, et ainsi de suite, ce n’est rien tout cela ? Du vent ? Le fruit de notre imagination ? Et ce pluralisme niveleur ne sera-t-il pas lui-même le germe de la discorde et de crises encore plus profondes que celles qu’on tente de résoudre par des chemins si tortueux qu’on ne s’y retrouve plus, même avec la meilleure bonne volonté du monde. C’est de l’idéologie pure et simple !

Pour mettre la cerise sur le gâteau, rien de mieux que de culpabiliser les citoyennes et les citoyens de leur manque de participation à la vie publique. Et sans coup férir, une autre vérité nous est assénée : « Les minorités doivent agir comme responsables de leur propre vie, elles doivent affirmer leur présence. Les majorités doivent les accueillir.» Que le pot de fer, s’il vous plaît, n’écrase pas le pot de terre ! (Cf. Frégault )

Dans son article sur la philosophie politique de l’État, Patrick Riley soutient qu’« une bonne partie de la science politique contemporaine qui porte sur les groupes, les intérêts et les processus a eu tendance à minorer davantage l’importance des concepts d’État et de souveraineté. Dans la théorie des systèmes par exemple, c’est l’ensemble interactif du système politique – ses « intrants », ses « extrants » et ses « transactions » − qui importent. L’État n’est plus de nos jours le centre d’intérêt de la politologie. » [Dans The 1996 Grolier Multimedia Encyclopedia, cédérom ver. 8.01.] [NDLE.-- Un autre mouvement du balancier semble s'amorcer en ce moment en face des déboires financiers et économiques de la civilisation capitaliste occidentale. BD - 2009]

Il semble bien que madame Jenson appartienne à cette école de pensée, tout comme la plupart des collaborateurs et collaboratrices de ce débat sur la nation québécoise. On comprend pourquoi elle abhorre de traiter de la question nationale en posant explicitement la question de l’État québécois. Pour elle, comme pour les autres, ne soulever que le voile sur l’État du Québec est une hérésie, car la crainte du projet souverainiste les horripile : « il faut mettre fin à nos mythes essentialistes » comme l’affirmait, sans ambages et sans aucune nuance, le philosophe Charles Taylor.

Enfin, y aura-t-il une personne dans ce forum qui abordera la question de l’État et de son rôle intégrateur au profit des individus et des minorités dans la société ? Madame Jenson nous a fait un plaidoyer pro domo pour la cause du « pluralisme » qui frise le dogme. Nous ne voulons pas de ce genre de discours au Québec. Allez donc prêcher, pour voir, cette bonne nouvelle en Ontario ?

Le Québec de demain ne peut pas se bâtir sur l’atomisation du social en citoyenneté et sur le ravalement de l’État en un appendice de minorités qui pourraient faire la pluie et le beau temps. Le Québec de demain sera démocratique, car il l’est, d’ores et déjà, quoiqu’en pensent les détracteurs du Québec français. Qu’on cesse de nous laisser entendre qu’on ne vivrait pas, demain, dans un État de droit qui n’inclurait pas un régime de citoyenneté, c’est une mystification. L’État-nation du Québec, qui a une expérience de la vie civique sur son territoire depuis des générations, ne nécessite d’aucune façon la réduction « de la nation à la citoyenneté ». Cette proposition est inacceptable pour la majorité des Québécois français.

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Jane Jenson

Notice Biographique

Jane Jenson est professeur titulaire au département de science politique de l’Université de Montréal et directrice du Réseau de la famille, un des réseaux canadiens de recherche en politiques publiques (RCRPP). Après des études de baccalauréat à l’Université McGill, elle a obtenu un doctorat à l’Université de Rochester, aux États-Unis. Originaire de Montréal, elle est revenue en 1993, après plus de 20 ans d’enseignement à l’Université Carleton à Ottawa. Rédactrice en chef de Lien social et politique et présidente de la Société québécoise de science politique, elle est également membre du Centre interuniversitaire sur les transformations et les régulations économiques et sociales (CRITERES) et membre de la Société royale du Canada. Elle a été professeure invitée à l’Université Harvard, à l’Institut universitaire européen, à Florence, à l’Université d’Augsbourg et à l’Institut John-F.-Kennedy de la Freien Universität de Berlin. Ses recherches portent sur une gamme étendue de sujets, dont la politique canadienne, les mouvements sociaux, la citoyenneté, la situation des femmes et la politique familiale en Europe et au Canada. Ses plus récentes publications comprennent notamment Mitterrand et les Françaises. Un rendez-vous manqué, en collaboration avec Mariette Sineau, qui a obtenu le prix Séverine, décerné par l’Association des femmes journalistes au Salon du livre de Paris en 1996. [Autres publications.]
(Dans Penser la nation québécoise… (1999), p. 303-304.)

Les textes originaux des citations

− L’encyclopédie InfoPEDIA, sur cédérom, ver. 2.01 (de Softkey) définit le pluralisme comme

« […] a state of society in which members of diverse ethnic, racial, religious, or social groups maintain an autonomous participation in and development of their traditional culture or special interest within the confines of a common civilization ».

− James MADISON, The Federalist, no X, New York, 23 novembre1 1787.

« By a faction, I understand a number of citizens, whether amounting to a majority or minority of the whole, who are united and actuated by some common impulse of passion, or of interest, adverse to the rights of other citizens, or to the permanent and aggregate interests of the community. »

− Patrick RILEY, « State (in political philosophy) », in The 1996 Grolier Multimedia Encyclopedia, cédérom ver. 8.01.

« Much of recent political science, concerned with groups, interests, and processes, has tended to further erode the importance of the concepts of state and sovereignty. in systems theory, for instance, what matters is the whole interactive political system: its « inputs, » its « outputs, » and its « transactions. » the state, then, is today no longer the central concern of political study. »

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