Suivie par la double insurrection des Britanniques de Montréal et d’une fraction du parti réformiste canadien-français
PRÉSENTATION
Signalons à nos internautes lecteurs et lectrices que cet article est lié à notre chronique no 313 du jeudi 14 février 2008 portant sur l’histoire des deux Canadas. Nous vous invitons à vous rendre sur le site Internet VIGILE.NET pour lire cette chronique qui est en lien avec l’étude de cette mission très particulière de Lord Gosford en vue de résoudre la double crise (politique et nationale) au Canada.
Il ne faut pas ignorer que le rapport des commissaires est déposé le 15 novembre 1836 ; il comprend six rapports. Les commissaires ont joui d’une très grande liberté pour exprimer leur point de vue. Par conséquent, les pistes de solutions ne sont pas partagées entièrement par chacun des commissaires. À telle enseigne que Gosford et Grey anticipent déjà que devant la possibilité d’une révolte, il faudra avoir « recours aux grands moyens ». D’ailleurs, Gosford devra faire appel à l’armée. À partir de ce moment-là, la mission de paix et de conciliation devient un échec.
Les années du gouvernement de Lord Gosford sont instructives pour nous tous, – même aujourd’hui. Le séparatisme de la Constitution de 1791 n’était qu’un leurre. Les Canadiens s’étant comportés comme une MAJORITÉ, ils ont dû à leur corps défendant reconnaître qu’ils avaient subi la défaite en 1760. Les années 1835, 1836 et 1837 sont cruciales pour l’avenir du groupe canadien-français. L’étape suivante couvre les années 1838, 1839 et 1840, soit la courte période de la mission Durham. Elle entraînera définitivement les Canadiens-Français dans l’Annexion.
Les Québécois devraient être assez lucides aujourd’hui pour reconnaître que leur adaptation au processus du parlementarisme du régime constitutionnel de 1791 a eu un impact très fort sur leur comportement comme nationalité. Ils ont découvert un pouvoir qu'ils pouvaient exercer, mais qu'ils ne pouvaient pas complètement contrôler – d'où l'échec de la mission Gosford. Par la suite, la confusion qui a régné entre le combat politique (plus particulièrement parlementaire) et la lutte nationale (Canadiens-Français vs Canadiens-Anglais, de nation à nation) a laissé des traces indélébiles dans le subconscient de la nation québécoise d’aujourd’hui. Les rêves souverainistes d’autonomie provinciale, de statut particulier, d’association, de partenariat, d’égalité entre les deux nations ou de l’autonomisme à petits pas de ces derniers mois ne sont que des succédanées de notre passé historique.
La rupture avec ce passé nécessite une profonde et vaste prise de conscience de la part de tous les Québécois, mais en particulier des Québécois-Français, en vue de réaliser le changement qualitatif de statut politique qu’ils subissent depuis leur insertion collective dans le DEUXIÈME CANADA.
Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette trajectoire collective, nous présentons ci-dessous l’analyse du rapport Gosford par l’historien Maurice Séguin dans son Histoire de deux nationalismes au Canada.
Bruno Deshaies
Montréal, 12 février 2008
Histoire de deux nationalismes au Canada (1997)
LEÇON X
EXASPÉRATION DE LA CRISE 1834-1837
EXTRAIT
//p. 264//
VII. ─ RAPPORT GOSFORD-GIPPS-GREY
21. Origine de la lutte politique et nationale
Les commissaires ne peuvent s’empêcher d’esquisser une très brève histoire du Québec depuis la Conquête. La première constitution, celle de 1763, semble avoir eu pour principe de travailler à rendre la colonie entièrement britannique. « Si on avait persisté dans la politique d’assimilation, affirment les commissaires, la situation serait aujourd’hui beaucoup plus calme que celle que nous connaissons. Cependant, la guerre d’Indépendance a fait mettre de côté la constitution de 1763 et l’Acte de Québec de 1774 a été voté. » Ces deux constitutions tendent à empêcher l’assimilation des Canadiens-Français.
En plus, s’est ajoutée la séparation de 1791 par laquelle le Bas-Canada a été de nouveau forcé par une loi du Parlement impérial à demeurer français ; en même temps on a octroyé aux Canadiens-Français une Chambre d’assemblée dont la très grande majorité des députés ne pouvaient être que des Canadiens-Français. Devant cette situation, les Britanniques se sont défendus par l’intermédiaire des Conseils. Et au cours de la lutte, l’assemblée composée presqu’exclusivement de Canadiens-Français a constamment fait figure de défenseur des droits populaires et des institutions libérales tandis que les Conseils où l’intérêt anglais prévalait, sont apparus comme les défenseurs du pouvoir arbitraire et de doctrines politiques démodées.
La majorité de l’assemblée qui réclame un Conseil législatif électif regarde cette réforme comme un moyen seulement pour arriver à d’autres fins. Entre autres, on demande que les affaires intérieures de la province soient conduites par un ministère responsable envers l’assemblée. « Ce serait, disent les commissaires, virtuellement l’indépendance, sous la présidence nominale d’un gouverneur britannique. »
//p. 265//
22. Les adversaires en présence
Les commissaires libéraux envoyés par un gouvernement libéral ne peuvent se prononcer, sans nuances, contre un Conseil législatif électif. Dans une colonie habitée par une population homogène et unie, ils approuveraient une telle réforme, mais tel n’est pas le cas dans le Bas-Canada.
« Dans l’ensemble, disent les commissaires, les Canadiens du Bas-Canada ne songent pas à rompre immédiatement avec l’Angleterre ; au contraire, ils désirent encore bénéficier de la protection de la Grande-Bretagne et ainsi s’épargner les frais de se défendre eux-mêmes. Mais, par contre, ils cherchent tout naturellement à accaparer toute l’autorité réelle dans les affaires intérieures dans le pays.»
De l’avis des commissaires, les colons britanniques ont bien compris les interpellations de Thom [auteur des Anti-Gallic letters] ainsi que les proclamations des Britishers du Lower Canada. Ils ne peuvent accepter ce gouvernement canadien-français. Les commissaires affirment : « Les Britanniques ne consentiront jamais dans le Lower Canada, sans une lutte armée, à l’établissement de ce qu’ils regardent comme une république française au Canada. »
23. Maintien du lien impérial
Grey ajoute en son nom personnel : « Si la question était simplement de savoir par quel moyen prolonger la souveraineté de l’Angleterre sur le Canada, je crois que ce serait en conservant le pays aussi français que possible. »
Mais le maintien du lien impérial, continue Grey, ne saurait être recherché par de tels moyens. Il ne s’agit pas d’un simple empire de domination sur des étrangers. La fin légitime de la colonisation est d’étendre aussi loin que possible sur terre, nos lois, notre langue, nos institutions [anglaises]. Dans la poursuite d’un tel but nous ne devons pas craindre que nos colonies puissent devenir éventuellement indépendantes, mais nous habituer à regarder l’indépendance comme l’aboutissement naturel de la colonisation de peuplement.
(p. 266)
Et Grey d’entrevoir l’avenir d’une manière dramatique :
Nous ne devons pas sacrifier notre colonisation britannique pour prolonger [en maintenant le pays français] une domination [de la Grande-Bretagne] qui sera à peu près nominale. Dans cette dernière hypothèse, le parti anglais prendra les armes et deviendra probablement l’agresseur et la Grande-Bretagne pour préserver le Bas-Canada [comme une quasi-république française] devra diriger ses forces armées contre des hommes qui sont nos compatriotes [la minorité britannique du Lower Canada] et les immigrants venus des îles britanniques.
VIII.─ PROPOSITIONS GREY
24. Nécessité de nouvelles structures
Impossible, dit Grey, de résoudre le problème de l’affrontement des Canadiens-Français et des Canadiens-Anglais en maintenant intactes les structures actuelles du Lower Canada.
Les Britanniques du Lower Canada ne peuvent légiférer sur les affaires intérieures des Canadiens-Français. D’autre part, les Canadiens-Français ne peuvent légiférer sur les intérêts des Britanniques du Lower Canada et sur une colonie britannique qui est le cœur, la vie, la force de tout le British North America. Les Canadiens sont en majorité dans le Bas-Canada, mais cette province n’est qu’une des cinq colonies du British North America et elle est la clé de cet ensemble colonial.
25. Fédération d’un Bas-Canada divisé
Grey propose donc, à l’instar de 1791, que le Bas-Canada soit divisé en plusieurs districts dotés chacun d’une législature locale subordonnée à une législature générale. Les villes de Québec, Montréal et les régions de Sherbrooke et de Hull seraient des centres britanniques. Les Canadiens-Français, dans ce qui resterait du Lower Canada, auraient pour capitale, la ville des Trois-Rivières. Le Canada-Français comprendrait surtout la zone seigneuriale, et, à l’intérieur de cette zone, les Canadiens-Français seraient maîtres de leur politique ; ils seraient libres de développer leur particularisme tandis que les Britanniques des villes de Québec, de Montréal et des Townships qui environnent (p. 267) Sherbrooke et Hull seraient libres de vivre en Britanniques avec des institutions britanniques.
Selon le plan de Grey, une législature générale où prévaudraient les Britanniques s’occuperait des grands objets d’intérêt mutuel : la navigation du Saint-Laurent, le revenu [ce qui est très important comme fonction gouvernementale] et la colonisation des zones non peuplées. Plus tard, le Upper Canada pourrait se joindre à ce premier noyau de fédération dans le Lower Canada. On le constate, la formule Grey est une nouvelle édition, une nouvelle forme de l’utilisation du principe fédéraliste pour régler le cas canadien-français en les mettant en minorité.
IX.─ POSITION DE GOSFORD ET GIPPS (1836-1837)
Les commissaires Gosford et Gipps soulignent les dangers d’une intervention limitée ; ils souhaitent plutôt faire suspendre la constitution du Lower Canada.
À la fin de 1836, au début de 1837, la crise est si aiguë que Gosford et Gipps écartent la solution proposée par Grey. Évidemment, on n’aurait pas le temps de remanier toutes les structures du Lower Canada et de mettre en œuvre un projet général de fédération des districts.
Les commissaires rejettent également les plans d’Union des deux Canadas, du moins pour le moment. « C’est là, écrivent-ils, une solution qui ne doit pas être envisagée, excepté si l’on parvenait à obtenir l’appui d’une majorité dans chacune des provinces à unir. » Or, à cette époque, la législature du Upper Canada, protestent contre les projets d’Union mis de l’avant par les Montrealers.
Quant à l’intervention limitée, partielle, de l’autorité impériale afin de reprendre, sans le consentement de l’assemblée canadienne-française, certaines sources de revenus pour subvenir aux frais d’administration, une formule suggérée par Londres, les commissaires doutent fort que cette politique soit de bonne guerre.
De l’avis des commissaires, ne serait-il pas mieux dans les circonstances de suspendre tout simplement la constitution du Bas-Canada ? (p. 268) On n’aurait qu’à dire que cette suspension est devenue nécessaire à cause des difficultés soulevées par la présence des deux nationalités. Un tel geste provoquerait moins d’agitation. Ce serait moins vexant pour les autres colonies ou législatures des autres colonies du British North America ; elles ne pourraient voir là un précédent qui viendrait un jour permettre de restreindre leurs libertés de contrôler le vote des subsides. « Une telle intervention radicale, disent les commissaires, pourrait peut-être faire réfléchir les Canadiens-Français, les amener à composer. Mais si cette politique mène quand même à la révolte, alors on aura recours aux grands moyens. »
LEÇON XI
CRISE DE 1837 ET RAPPORT DURHAM 1837-1839
//p. 273//
I.─ CRISE 1837 ET CONSÉQUENCES IMMÉDIATES
1. Riposte de Russell aux Quatre-vingt douze résolutions
Les dix résolutions Russell du mois de mars 1837 répondent aux Quatre-vingt-douze résolutions canadiennes-françaises de 1834. Russell, ministre des Affaires intérieures, réaffirme la volonté du gouvernement de Londres d’améliorer la composition des Conseils législatif et exécutif ; le ministre ajoute cependant qu’il est imprudent de transformer le Conseil législatif en un corps électif, vu l'état de la colonie, et qu’il est peu sage de soumettre le Conseil exécutif à la responsabilité demandée par l’assemblée du Bas-Canada. De plus, dans le cas où l’assemblée du Bas-Canada continue à refuser de voter les subsides, Londres autorise le gouverneur à puiser dans le Trésor public sans son consentement. Ainsi, Londres répond à la grève parlementaire de l’assemblée canadienne-française par la force, c’est-à-dire par la menace d’une intervention directe, sans tenir compte l’assemblée si nécessaire.
2. Ultime tentative de Gosford et renvoi de la Chambre
Cependant, pour l’instant, le gouvernement de Londres s’abstient de transformer les résolutions Russel en lois qui s'appliqueraient immédiatement. Gosford peut donc convoquer de nouveau le Parlement du Bas-Canada dans une ultime tentative d’amener l’assemblée à céder. La Chambre d’assemblée, peu intimidée, répond : « Si la Grande-Bretagne agit selon l'esprit des résolutions Russell, sa suprématie ne reposera plus sur la force brute. » Gosford renvoie la Chambre et plaide de nouveau la nécessité de suspendre la Constitution du Bas-Canada. La Chambre du Bas-Canada vient de siéger pour la dernière fois sous le régime séparatiste de 1791.
[…]
//p. 274 //
1837, c’est d’abord l’insurrection des Britanniques de Montréal […].
1837, c’est également l’insurrection d’une fraction (seulement) du parti réformiste […].
Gosford, en présence de l’anarchie qui règne dans la région montréalaise, tente de faire arrêter Papineau. On est allé si loin, de part et d’autre, qu’il n’est plus nécessaire de tenir compte des autres combats de 1837. On peut dire que le sort du Bas-Canada, à titre d’État séparé, est définitivement scellé. Le séparatisme, issu de la Constitution de 1791, avait virtuellement vécu.
Nomination de Durham comme gouverneur.
Maurice SÉGUIN, Histoire de deux nationalismes au Canada, Montréal, Guérin, Éditeur, 1997.
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