INDÉPENDANCE POLITIQUE
DU QUÉBEC 448
Quel rôle l’État du Québec peut-il jouer ?
Chronique de
Bruno Deshaies, 9 mai 2016
Au moment où nous avons appris le départ canon de Pierre Karl Péladeau de
toutes ses fonctions politiques, cette chronique était en cours de rédaction
depuis quelques semaines. Nous croyons malgré tout qu’elle demeure complètement
d’actualité. Monsieur Péladeau avait
conscience que son action devait se développer sur deux fronts : un
premier front, celui de l’action politique incontournable et, un deuxième, celui
d’une réflexion sur la réalisation de son désir d’indépendance politique. En
s’inscrivant dans le milieu politique, il a créé des espoirs et une bouffée
d’air frais qui ne devraient pas se tarir. En effet, il a décidé après ce
départ inopiné de prêter à l’Institut de
recherche sur l’autodétermination des peuples et les indépendances nationales (IRAI) des ressources financières pour qu’il puisse se mettre en marche. (C’est
une idée que j’ai défendue depuis une quinzaine d’années[i](1).
La présente chronique se situe dans le prolongement de la Chronique 447 du 18
avril. Sur cette tempête inédite, le moment est venu d’exercer son esprit
critique sur le flot des discours qui traite de «la question nationale» – cette
expression éculée qui ne dit pas exactement l’intention de l’indépendance
politique du Québec. La documentation considérable que nous mettons en lumière
dans cette chronique nous montre que nous ne pourrons pas en demeurer
indéfiniment à nous ausculter dans le menu détail et se satisfaire de décrire
dans toutes les directions l’état du Québec.
Il faut faire le bilan critique de notre pensée politique dans l’optique
indépendantiste et s’atteler à la tâche de conquérir le public sur le
bien-fondé des avantages nationaux d’être indépendant collectivement. Pour l’être véritablement, il faut que l’agir
(par soi) collectif exprimé par tous ses membres lui permette efficacement de
faire face eux-mêmes aux problèmes de la vie nationale tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur. Cette condition est
nécessaire pour s’assurer la maîtrise de sa vie politique, économique et
culturelle selon ses propres finalités d’où le rôle considérable qui doit être
attribué à l’État pour réglementer, soutenir, corriger, défendre la vie
collective nationale des Québécois.
plus vous verrez loin dans le futur.»
Tout l’agir
humain est du domaine de l’histoire. Car
il s’agit de l’histoire avec un grand H, c’est-à-dire de toutes les sortes
d’activités humaines passées. Entreprendre de comprendre l’histoire du Québec,
c’est accepter de remonter jusqu’à ses
origines en Nouvelle-France et suivre son parcours historique en Amérique du
Nord de 1534 à nos jours. «Regarder loin
dans le passé» n’est pas une fantaisie de la recherche, car il existe des
ancrages qui pèsent lourdement sur le présent. Le présent n’échappe pas au temps historique qui
relève de l’avant et de l’après, c’est un continuum.
Malgré le
Passé vécu, il existe quand même toute
cette réalité mystérieuse de l’intervention de l’intelligence et de la volonté
de l’être humain, c’est-à-dire de voir « plus … loin dans le futur». Toutefois, il faut des forces latentes
existantes pour justifier un redressement de situation. Est-ce possible que l’intelligence et la volonté, à un moment
donné, puissent mettre les ardeurs en œuvre par la parole, au gré de la
fantaisie, en un rien de temps, sans tenir compte de la nature et des forces présentes
? Comment peut-on être sûr d’être
capable de modifier jusqu’à un certain point le cours des événements ? Dans ce
cas de figure, les politiques surtout auront à apprendre à savoir «regarder
loin dans le passé» pour s’assurer de voir «loin dans le futur» sachant que
c’est dans le présent qu’ils agissent, donc qu’ils doivent reconnaître pour
l’action les exigences de la tactique tout en sachant ce que sait que
l’indépendance. En outre, ils auront à
admettre que la vérité se révélera plus profitable pour faciliter l’action
immédiate et lointaine. Cette vision créatrice les rendra plus lucides.
Notre
histoire du Québec se divise en deux grandes périodes : un Premier Canada,
avant 1760, et un Deuxième Canada, après 1763.
Le premier pays a d’abord été celui des colons Français (canadiens) ou
Canadiens (français) et Canadiens tout
court (les «canayens»). Après 1763, ce sera le début du Canada britannique. «Désormais, écrit l’historien Maurice Séguin, le territoire canadien est ouvert à une nouvelle colonisation. […]
Le Canada français ne sera plus seul.»
Les «Canadiens» connaîtront une nouvelle aventure historique sous une autre
forme de colonisation. Dans ce deuxième pays
(britannique) où ils deviennent graduellement des canadiens-français (de souche
ou d’adoption) avec toutes les caractéristiques d’une nation au sens général et
sociologique du terme. Comme société,
ils forment un tout complexe, un réseau d'habitudes (expérience, initiative),
de traditions, de capitaux, de techniques
politiques, sociaux, économiques et culturels, bref une entité socio-politique
avec des valeurs communes. L’histoire a
voulu que le Canada-Français persiste dans le temps mais en subordination sur
place en tant que nation annexée. Leur autonomie partielle de 1867 ne leur
redonne pas les pouvoirs et les droits qu’ils possédaient avant 1760. L’État
local de la Province de Québec est un État fédéré
avec des compétences politiques limitées. Ce constat est indéniable.
I.- L’ÉTAT DU QUÉBEC
Comment les Québécois et les Québécoises peuvent-ils entrevoir le Futur ? Ce serait donc la troisième période de notre
histoire. Celle-là
est cruciale, car elle vise la désannexion de la nation québécoise de la nation
canadian afin d’accéder librement et
collectivement au statut d’égalité de droits au plan international. Qu’est-ce à dire ?
Pour en
arriver là, il faudrait que l’État du Québec, comme unité politique, ait le
droit de
[a] posséder
la maitrise des décisions à prendre et de leur exécution à son propre niveau national ;
[b] décider de
se soumettre ou non aux décisions majoritaires absolument contraignantes aux
instances internationales ;
[c] se réserver le droit d’exécuter ou de ne pas
exécuter les « ordres » suggérés par la majorité internationale.
Tel
est le seuil minimum du respect de l’indépendance des nations membres de
l’organisation mondiale internationale. Dans
ce cas de figure, le Québec deviendrait véritablement une nation indépendante. Ce n’est pas une monomanie ou une lubie que de
le dire ouvertement et publiquement.
Mais il faut le dire afin que le public partage majoritairement cette
vision du futur et que l’action mette les ardeurs à l’œuvre. Cependant, l’action va exiger d’éviter de se
mettre dans l’impossibilité de comprendre d’une manière réaliste la complexité
de la situation actuelle. Agir autrement,
–
c’est s’exposer à gaspiller en pures pertes ses meilleures énergies en
combattant inutilement l’inévitable (pour le moment ou pour toujours (peut-être
?);
Il
est donc important que l’on surmonte les tentations de découragement.
Une politique
publique «nationale» surpasse en
complexité toutes les politiques publiques «sociales»
auxquelles se cramponnent nos chercheurs et sur lesquelles s’abandonnent nos
conseillers de l’État du Québec. Il faut bien comprendre que l’ordre de
grandeur du problème que pose la recherche de l’indépendance nationale du
Québec affecte inévitablement les autres nations compte tenu de la finalité et
du résultat attendu, voulu et défendu avec détermination.
Afin d’observer
toutes les facettes de ces exigences, il existe à notre disposition des outils
de connaissance sur cette vie collective qui est enracinée dans l’histoire de
ce Premier Canada depuis la fondation de Québec en 1608. Il faut prendre conscience que malgré les
vicissitudes de notre parcours historique, les Québécois ne cessent de
continuer à rechercher cette possibilité de s’émanciper. La première étape à franchir serait de faire
accepter par une majorité démocratique au Québec que l’émancipation nous permettrait d’agir par nous-même collectivement
et librement.
Avant de parler d’autodétermination et de referendum, il serait
préférable de prendre conscience de ce que nous sommes, des moyens dont nous
disposons et, surtout, d’apprendre à faire accepter par le public cette vision
du futur. Les indépendantistes doivent
sortir de l’esprit de «l’entre soi et les autres»[ii](2).
Ils ont l’obligation de se mettre à l’écoute de d’autres points de vue qui
préoccupent les indépendantistes sincères et honnêtes. Les tours d’ivoire du mouvement
indépendantiste nuisent au développement de l’idée indépendantiste par leur
relégation. Le Parti québécois et les
organismes qui orbitent autour de la souveraineté du Québec devraient concentrer
leur énergie sur l’optique indépendantiste surtout quand il s’agit d’un cas
de figure entre fédéralisme vs
nationalités. http://www.rond-point.qc.ca/rond-point/histoire/seguin/sociologie-du-national-federalisme-et-nationalites-6/ Les indépendantistes ont le
devoir de démasquer et de démystifier le fédéralisme en tant que
solution-magique dans les rapports entre les nations. Car il n’y a pas
d’objection dirimante quant aux relations entre l’indépendance et
l’interdépendance.
Étant donné
que les Québécois veulent échanger dans le monde, ils ne devraient pas craindre
les répercussions de la vie internationale (extérieure) sur la vie nationale
(intérieure). Il est même souhaitable de rechercher le plus possible les
contacts extérieurs, afin d’enrichir sa vie intérieure. Une grande partie des relations extérieures
seront surtout des défis stimulants qui provoqueront des progrès (politiques,
économiques, culturels) intérieurs. La
contrepartie exige pour une nation souveraine un rôle considérable de l’État pour réglementer, soutenir,
corriger, défendre la vie collective nationale. L’État du Québec actuel possède
certains atouts qu’une bonne étude de ce que nous sommes pourrait nous
révéler.
2011 Langue maternelle : Québec vs Montréal
Lire la version intégrale...
[i] Le 28 octobre 2009, j’avais fait
parvenir à Monsieur Péladeau, Président et chef de la direction de Quebecor, un
message électronique dont l’objet était formulé ainsi : «Pour un projet
d’éducation à l’indépendance contre l’annexion du Québec.»
[ii] Consulter la
présentation de Sylvie Tissot (dir.), « Les espaces de l’entre-soi », Actes de
la recherche en sciences sociales, n° 204, 2014. http://lmsi.net/Entre-soi-et-les-autres
Sur cette question de psychologie sociale et de sciences sociales, les
indépendantistes auraient une petite réflexion à faire entre eux. https://lectures.revues.org/15551